
Le traitement de fertilisation réalisé en forêt aux Nouragues et à Paracou depuis 2017 a pour objectif principal de mieux comprendre la réponse des écosystèmes forestiers tropicaux aux changements de teneurs en nutriments, en azote et en phosphore, en particulier.
Sur chaque site, le dispositif comprend douze parcelles de 0.25 ha disposées le long d'un gradient topographique caractérisé par trois zones forestières aux conditions de sol naturellement contrastées (figure 1). Les sols des parcelles en sommet de colline (terra firme) sont bien drainés, mais pauvres en nutriments, en opposition à ceux des parcelles en bas-fond, régulièrement saturés en eau et riches en nutriments. Les sols des parcelles de la zone de pente sont intermédiaires. Chacun des trois lots de quatre parcelles est constitué d'une parcelle amendée avec de l’azote (N), d'une parcelle amendée avec du phosphore (P), d'une parcelle amendée avec un mélange de N et P, ainsi que d’une parcelle contrôle (Ctrl ; forêt non perturbée).

Le projet européen « IMBALANCE-P » (2014-2020) a initié cette expérimentation en se focalisant sur le rôle des interactions plantes-sol dans la séquestration du carbone et la dynamique des nutriments en forêt tropicale. À la fin du projet IMBALANCE-P, des fonds AnaEE-France (PIA) via le projet FertiGuyane ont été mobilisés pour poursuivre le traitement de fertilisation des parcelles jusqu’en 2023. L’objectif était d'ancrer l'expérimentation de fertilisation en Guyane et la recherche associée sur le long terme.
De nouveaux projets de recherche sont en cours, avec des campagnes de mesures prévues jusqu’à la fin de l’année 2024. Ils portent notamment sur les échanges des principaux gaz à effet de serre (GES), i.e. dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O), non seulement à l'interface sol-atmosphère, mais aussi à l'interface arbre-atmosphère.
Les sols sont les principaux contributeurs aux flux de GES en forêt. Les émissions et absorptions de ces gaz sont le résultat de processus microbiens spécifiques aux plantes et au sol à l’interface sol-atmosphère. Les résultats de différentes études montrent que les facteurs biotiques et abiotiques, tels que le type de végétation, la teneur en eau du sol, la température du sol, le type de sol, la structure et la composition des communautés microbiennes associées, ainsi que la disponibilité en nutriments (N et P en particulier), contrôlent les variations spatio-temporelles de ces flux de GES dans certaines conditions. Toutefois, bien qu’importantes, ces observations des flux de GES en forêts tropicales sont peu nombreuses et n’ont pas encore été rapportées dans le contexte d’un déséquilibre en nutriments dans le milieu, simulé par la fertilisation. Dans ce cadre, le projet FertiSoil-GHG (INRAE-EcoFoG et Université d'Anvers) vise à évaluer, pour la première fois, l'effet de sept années d'ajout de N et P sur les échanges de CO2, CH4 et N2O au niveau du sol, en s'appuyant sur les résultats de mesures de flux et de propriétés du sol des trois premières années suivant la première fertilisation.
De plus, outre les sols, il a aussi été démontré que les arbres peuvent également contribuer de manière significative aux échanges de GES dans les forêts. Le CO2, CH4 et N2O produits dans le sol peuvent être absorbés par les racines sous forme dissoute et transportés dans les parties aériennes des arbres. Les flux de ces gaz mesurés à la surface des troncs peuvent également provenir de processus microbiens inhérents aux tissus ligneux ou de processus physiologiques et photochimiques. Il n'existe actuellement aucune observation de ces flux de GES au niveau des arbres dans le contexte de fertilisation en forêt tropicale. Le projet FertiSoilTree-GHG (Labex CEBA ; INRAE-EcoFoG-CzechGlobe, République Tchèque) a donc pour objectif de mesurer pour la première fois l'effet de sept années d'ajout de N et de P sur l'échange de CO2, et en particulier de CH4 et N2O, le long du continuum sol-arbre-atmosphère dans les forêts primaires tropicales.
Références associées :
Bréchet L., Daniel W., Stahl C., Burban B., et al. 2021. "Simultaneous tree stem and soil greenhouse gas (CO2, CH4, N2O) flux measurements: a novel design for continuous monitoring towards improving flux estimates and temporal resolution" New Phytologist (IF = 8.51); doi: 10.1111/nph.17352.
Bréchet L., Courtois E.A., Saint-Germain T., Janssens I.A., et al. 2019. "Disentangling drought and nutrient effects on soil carbon dioxide and methane fluxes in a tropical forest" Frontiers in Environmental Science (IF = 3.88); doi: 10.3389/fenvs.2019.00180.
Courtois E., Stahl C., Van den Berge J., Bréchet L., et al. 2018. "Spatial variation of soil CO2, CH4 and N2O fluxes across topographical positions in tropical forests of the Guiana Shield" Ecosystems (IF = 4.55); doi: 10.1007/S10021-018-0232-6.
Verryckt L.T., Vicca S., Van Langenhove L., Stahl C., et al. 2022. "Vertical profiles of leaf photosynthesis and leaf traits, and soil nutrients in two tropical rainforests in French Guiana before and after a three-year nitrogen and phosphorus addition experiment" Earth System Science Data (IF = 11.90); doi: 10.5194/essd-2021-142.
Vallicrosa H., Lugli L.F., Fuchslueger L., Sardans J., et al. 2023. "Phosphorus scarcity contributes to nitrogen limitation in lowland tropical rainforests" Ecology (IF = 6.43); doi.org/10.1002/ecy.4049.